– Extrait choisi pour vous-
Que vous ne sachiez même plus que vous êtes un prince ou une princesse.
Imaginez que vous viviez dans une immense ville confortable, sécuritaire où vivent avec vous toutes les autres princesses et tous les autres princes qui ont oublié leur statut.
Vous êtes installé dans une belle maison, et en général, vous y êtes heureux. En général…
Pourtant de temps à autre, vous vous sentez insatisfait. De temps à autre, vous vous surprenez à vouloir plus. Hors de toute logique pourtant, puisque vous avez tout. Lorsque cela se produit, vous avez envie d’explorer d’autres horizons.
Le long de la grande avenue périphérique, on trouve des petits sentiers entrant dans une forêt. Des milliers de petits sentiers. Chacun des chemins porte un nom. Un nom étrange, qu’on ne reconnait pas : « via bernierus, via rochetta, via… ». La plupart des gens pensent avec raison que c’est du latin. Mais personne ne connait plus le latin. Et personne n’a remarqué non plus qu’on trouve autant d’entrées qu’il y a d’habitants dans la ville.
Des rumeurs disent que chacun des chemins conduit à un royaume. Mais personne n’ose s’y aventurer car c’est trop effrayant. Une route pleine de trous et de bosses, balisées de ronces et plongeant dans une forêt si dense que pratiquement aucune lumière ne peut y passer, donnerait la chair de poule à quiconque, n’est-ce pas ?
Pourtant, dans vos moments d’insatisfaction, un de ces petits chemins vous attire particulièrement. Pas tous, non. Un seul. Celui dont le nom étrange vous rappelle quelque chose. Et vous y faites même deux ou trois pas parfois. Au grand désespoir de tous les autres habitants qui vous disent de renoncer et vous rappellent que vous avez tout pour être heureux et que ce que vous vivez n’est qu’un moment de blues qui va forcément passer.
Il faut dire que se conformer à ce conseil est plutôt facile pour peu qu’on se soit approché du chemin. Car dès qu’on y a mis les pieds, on commence à avoir peur. Un peur terrible, une peur viscérale. L’épouvantable certitude qu’on pourrait y mourir.
Après de longues hésitations, la peur et l’influence des autres vous décident à rebrousser chemin.
Jusqu’à la prochaine fois. Jusqu’à ce que vous y fassiez deux ou trois pas de plus.
Il y a en ville ceux qu’on appelle les « inadaptés ». Ceux qui, la nuit, s’aventurent sur leur chemin et se mettent à l’explorer. Parfois même, ils disparaissent de longs jours, des semaines, des mois. Puis ils réapparaissent, prétextant qu’ils étaient en vacances. Même si l’on n’en parle pas ouvertement, chacun sait qu’ils reviennent de ce fameux sentier. C’est facile à voir, car à chaque voyage, ils reviennent un peu plus inadaptés qu’avant. Un peu plus bizarres. Comme si le chemin rendait fou.
Ils se mettent à dire des choses étranges. Des choses incompréhensibles : il y a mieux que ce que nous vivons ; nous sommes aliénés ; nous détruisons notre ville : nous n’avons pas compris le sens de la vie. Ils se mettent à résister aux règles de la ville, à les remettre en question, à réclamer le droit de penser par eux –mêmes.
La plupart d’entre eux sont isolés. Car ils dérangent. Ils bouleversent même parfois. Mais ils donnent aussi envie d’aller explorer. Et ça, on ne peut pas se le permettre. C’est trop d’insécurité. Alors on les boude, on les ignore, il arrive même qu’on tente de les mettre hors d’état de nuire en propageant des rumeurs malsaines sur leur compte. Certains parait-il, se font même arrêter.
Pourtant dans vos moments d’insatisfaction, vous vous prenez à les regarder et à penser que peut-être ce sont eux qui ont raison.
Vous avez l’impression que du fond de vous, quelque chose n’est pas encore sorti. Vous pressentez un rêve qui cherche à venir au monde. Vous avez beau vous convaincre que vous avez tout pour être heureux, vous sentez bien en vous, que quelque chose vous manque. Comme si la vie que vous viviez n’était pas la bonne. Comme si vous veniez d’ailleurs. Comme si vous étiez autre chose que ce que l’on vous a toujours enseigné.
Et si les inadaptés avaient raison ? Après tout vous ne savez pas quel est le sens de la vie. Vous ne savez pas pourquoi vous êtes là. Vous ne savez pas qui vous êtes. Ou vous ne le savez plus. Vous avez l’impression de venir d’un endroit dont vous êtes en exil. Doré, tout confort, mais en exil tout de même.
Vous sentez soudain le besoin irrépressible, intenable, de vous aventurer à la recherche de vous-même, dans le sentier mystérieux qui, vous l’apprendrez plus tard, porte votre nom. Le sentier de votre royaume. Le sentier qui vous mènera à la découverte de votre vraie nature.
Il fallait que ça dérape pour que vous y alliez, car le sentier n’accepte pas les gens satisfaits de leur sort.
C’est lorsqu’on n’a plus rien à perdre que l’on peut risquer l’insécurité.
EXTRAIT CHOISI
Dans la série « Lettre du Lundi – OZER »
Extrait du livre « Faites exploser vos couleurs »
Auteur Jean Rochette
Ed. Le Dauphin Blanc (Québec- Canada)
Comment agrandir ses rêves et les réaliser, des articles sur le corps, l’esprit, l’âme, les voyages…